Après la publication du décret portant création du couloir vert Kivu-Kinshasa, les langues se délient pour analyser la portée de cet acte et son impact sur le foncier, les communautés et la biodiversité. Dans une interview exclusive accordée à Environews RDC, Jean-Marie Bolika, expert en gouvernance forestière, évoque l’extension du « Modèle Virunga » à travers les autres provinces de la RDC. Un modèle qui pourrait engendrer des conséquences dangereuses et des conflits pour le pays.
A l’en croire, ce projet est venu perturber d’autres initiatives déjà entreprises notamment, la révision de la loi sur la conservation à la vitesse d’un éclair. Pour ton information, la société civile environnementale avait alerté au mois de Décembre 2024, sur les dangers qu’un tel projet peut susciter au sein de la population.
Environews : Monsieur Bolika Jean-Marie, quelle est votre lecture du décret portant création du couloir vert Kivu-Kinshasa ?
JM Bolika : La société civile avait constaté le non-respect des principes de gouvernance auxquels le pays s’est engagé notamment l’absence de consultation et la non-participation des parties prenantes. A titre d’exemple, dans le présent décret considère les territoires de Djolu et Befale localisés dans l’actuelle Province de la Tshuapa comme des entités de la Province voisine de la Tshopo.
Cela indique que les experts de la Primature n’ont pas connaissance de la carte administrative de la République Démocratique du Congo. En conséquence, la Première Ministre devrait réviser le décret n°25/01/ du 15/01/2025 portant création de l’aire protégée à vocation de réserve communautaire « Couloir Vert Kivu – Kinshasa » pour arrêter cette confusion dans les esprits de la population.
Sans toutefois, mettre en cause, les bienfaits de la conservation, comment peut- on créer une aire protégée plus que la taille de la monarchie d’Eswatini 17 363 km² en Afrique australe ? Djolu compte 17 974 km2 de superficie avec tout ce que cela compte comme propriétés privées : plantations de café, Caoutchouc, champs des paysans, Cité, rivières, aires protégées et réserves scientifiques existantes.
Environews : Selon vous, en prenant ce décret, pensez-vous que la RDC va atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés ?
JM Bolika : Il faudrait partir des initiatives menées par le gouvernement en vue de promouvoir la conservation vu le potentiel de la RDC en tant que pays à Méga biodiversité. Ensuite, lier cela avec le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal qui souligne la nécessité d’une action politique urgente à l’échelle mondiale, régionale et nationale afin de réaliser un développement durable et de limiter et/ou d’inverser les facteurs de changement indésirable qui ont exacerbé la perte de biodiversité, de manière à favoriser le rétablissement de tous les écosystèmes et à réaliser la vision de la Convention, qui est de vivre en harmonie avec la nature d’ici à 2050. Cela exige de consacrer 30% de la superficie du territoire national pour la conservation à l’horizon 2030.
Mais cela devrait se faire selon les règles de l’art. Le pays est déjà en proie aux conflits armés, communautaires et fonciers, le gouvernement ne devrait pas travailler dans le sens de les entretenir mais plutôt de les combattre.
Le gouvernement devrait d’abord évaluer la superficie affectée pour les aires protégées actuelles qui se situe autour de 14 % , ensuite recenser les autres initiatives localisées à travers le pays. Par exemple, dans les forêts de production, il y a des séries de conservation, les superficies allouées aux concessions forestières de conservation et les concessions des communautés locales et autochtones, etc… sont autant des superficies que le gouvernement pourrait évaluer et comptabiliser pour atteindre l’objectif du Cadre Mondial.
Environews : Quelles sont selon vous, les faiblesses et les forces d’un tel décret.
JM Bolika : Il y a des faiblesses qui entament la crédibilité du décret et qui violent certaines lois établies dans notre pays.
· Le droit international contenu dans les conventions internationales ratifiées par la RDC et le cadre légal congolais en vigueur dans le secteur forêt et environnement exigent avant tout classement d’une forêt pour une usage quelconque (soit en aire protégée, concession forestière de toute nature), qu’il y ait d’abord des consultations des communautés riveraines afin de constater les vacances des terres et prévenir d’éventuels conflits d’usage. Tenir compte du consentement Libre informé et préalable (CLIP) considéré comme un des principes de gouvernance participative que le gouvernement aurait pu réaliser avant la signature du décret bien que délibéré en conseil de ministre.
· Le présent décret viole plusieurs dispositions de la législation en vigueur, notamment l’article 18 du Code forestier en vigueur qui nécessite l’avis préalable du Conseil Consultatif national des forêts. Et donc, le Conseil Consultatif National des forêts, structure participative qui réunit les délégués de la Présidence de la République, de la Primature, du ministère de l’Environnement et développement durable, des autres ministères sectoriels, de la société civile n’a pas été sollicitée pour donner son avis.
· La confusion entretenue par la Première Ministre dans la localisation des entités administratives de la Tshuapa au profit de la Province voisine de la Tshopo.
· Des risques de conflits fonciers entre les potentielles investisseurs et les détenteurs des droits déjà acquis sur le foncier et sur la forêt,
· La non implication des parties prenantes pour enrichir le texte afin d’éviter d’éventuelles contestations de la population,
S’engager dans l’atteinte du Cadre Mondial de conservation de la biodiversité est une force et une opportunité pour le pays. Cependant, la démarche pour atteindre l’objectif devrait respecter les lois en vigueur, les us et les coutumes de notre population.
Environews : Comment entrevoyez-vous l’avenir de la conservation avec ce nouvel espace dédié ?
JM Bolika : Nous sommes devant un fait accompli. Il faut soutenir l’initiative du Gouvernement et apporter des propositions concrètes. Ainsi, Il revient à la Première Ministre d’être réceptive aux suggestions de la société civile ainsi que d’autres forces vives car il ne s’agit pas d’une province mais de plusieurs impliquées dans ce projet de Couloir Vert. Chaque province a ses réalités anthropo-sociologiques qu’on ne peut pas négliger. Il faudrait s’attendre à plusieurs réactions sur le contenu de ce texte dans les jours à venir.
Interview réalisée par Alfredo Prince NTUMBA